CHAPITRE XX

Gavin ne s’arrêta pas devant la porte ouverte du bureau provisoire de Kre’fey sur Dubrillion. Il frappa au chambranle et entra dans la pièce. Puis il leva les yeux de son databloc, avisant deux personnes.

– Désolé, amiral, je n’avais pas remarqué que vous étiez occupé…

– Ce n’est pas un problème, colonel Darklighter. Je pense que vous connaissez Lando Calrissian et Leia Organa Solo.

Gavin s’empourpra.

– Nous nous sommes rencontrés, oui, mais je ne peux pas dire que je les connaisse…

Lando et Leia étaient des héros de la Rébellion au temps de son cousin Biggs. Enfant, il avait eu une toquade pour la princesse Leia. Même s’il avait dépassé ce stade depuis longtemps, les rencontrer lui donnait l’impression de redevenir un adolescent indigne de se trouver dans la même pièce qu’eux.

– Je peux revenir plus tard, amiral.

– Inutile, dit le Bothan, montrant des dates et des tableaux sur l’écran holographique. Les vaisseaux agamariens qui sont arrivés en même temps que nous ont en partie évacué la planète. Les Yuuzhan Vong n’ont rien fait pour les arrêter. Donc nous supposons qu’ils attaqueront les convois de réfugiés quand ils quitteront les lieux. L’Escadron Rogue devra les en tenir éloignés.

– J’ai travaillé sur cette question, amiral, dit Gavin. Un escadron d’ailes X est prêt à partir, et la population de Dubrillion dispose d’un grand nombre d’Affreux modifiés et armés en vue de missions dans la ceinture d’astéroïdes.

– Nos pilotes sont doués, dit Lando. Ils empêcheront les Yuuzhan Vong de s’en prendre au convoi.

– J’en suis sûr. Ce qui m’inquiète, c’est que peu d’Affreux disposent de l’hyperpropulsion. Nous devrons prévoir un vaisseau pour récupérer les pilotes et leurs chasseurs. L’Escadron Rogue tiendra les Vong à distance pendant la récupération, puis sautera dans l’hyperespace.

Kre’fey caressa la fourrure blanche de son menton.

– Le Ralroost serait le dernier vaisseau à partir. Il récupérera les chasseurs.

Leia fronça les sourcils.

– Nous avons prévu d’embarquer des réfugiés à bord du Ralroost. S’il est le dernier vaisseau à partir, les Yuuzhan Vong se concentreront sur lui. Avez-vous envie de prendre ce risque ?

– Envie ? Non. Mais avons-nous le choix ? Pas plus ! Nous savons déjà, en dépit de la générosité des Agamariens, qui envoient tous les vaisseaux dont ils disposent, que nous ne pourrons pas sauver tous les habitants de Dubrillion.

Par la verrière, Gavin regarda le paysage urbain dévasté. Après que l’escadron eut été récupéré, Kre’fey avait accepté la requête des Agamariens : accompagner avec le Ralroost un convoi de vaisseaux vers Dubrillion. Gavin était persuadé que Kre’fey s’était arrangé pour qu’on lui demande cette « faveur », qui conduirait son vaisseau à un endroit où un contact avec les Yuuzhan Vong ne pourrait pas être ignoré par Coruscant.

Le peuple de Dubrillion avait fait face à l’invasion imminente avec un stoïcisme sidérant. Sachant qu’il serait impossible de sauver tout le monde, on demandait aux familles de faire des choix épouvantables : ceux qui auraient le droit de vivre et ceux qui resteraient en arrière. Les enfants les plus brillants de Dubrillion, les historiens, les artistes et les meilleurs scientifiques iraient sur Agamar.

Les enfants d’une même famille voleraient sur des vaisseaux différents pour éviter la disparition de lignées entières au cas où un navire ne s’en tirerait pas.

Des mères laissèrent partir leurs enfants, des petits-enfants dirent adieu à leurs grands-parents, sachant qu’ils ne les reverraient jamais.

– Le peuple de Dubrillion a pris de difficiles décisions, dit Kre’fey. Si j’évitais d’en prendre une, ce serait me moquer de son héroïsme. Je ne ferai pas ça…

Leia hocha la tête.

– Je partirai avec le Ralroost, dans ce cas.

– Avec tout le respect que je vous dois, je pense que vous devriez voyager avec le sénateur A’Kla, à bord de son vaisseau.

– C’est ce que j’aurais fait. Mais le sénateur a demandé à être hébergé sur le Ralroost avec ses compagnons de voyage. Il a donné le Bon Souvenir à des pilotes qui ont déjà effectué un voyage vers Agamar, et qui sont revenus pour emmener un autre groupe.

– Dans ce cas, je vous accueillerai à mon bord avec grand plaisir. (L’amiral regarda Gavin.) Y a-t-il autre chose, colonel ?

Gavin lui tendit le databloc.

– J’ai trouvé les gens dont j’ai besoin pour compléter l’Escadron Rogue. J’ai pris la liberté d’examiner les dossiers des pilotes qui ont volé dans les ceintures d’astéroïdes. J’ai sélectionné les meilleurs, ceux qui sont encore disponibles, du moins.

– Puis-je voir la liste ?

L’amiral hocha la tête. Gavin confia le databloc à Leia, qui l'étudia un moment.

– Ma fille n’y figure pas.

– Non, princesse.

– Pourquoi pas ?

Leia savait Jaina impatiente, exaspérée par ses dernières missions et avide de contribuer au sauvetage. Elle serait vexée si elle n’était pas choisie pour l’Escadron Rogue parce qu’elle était sa fille. Mais ils étaient tous en danger, quelle que soit leur affectation…

– Elle est trop jeune.

La princesse leva le menton.

– Sauf erreur de ma part, elle a l’âge que vous aviez en intégrant l’Escadron Rogue, colonel Darklighter.

Gavin s’empourpra.

– C’est vrai, mais c’était une époque troublée…

– Et maintenant ?

– Oui, mais…

– Puis-je vous poser une question, Gavin ? Si un de vos fils était un candidat valable, lui refuseriez-vous une place dans l’escadron ?

– Ne me demandez pas ça ! s’écria Gavin, l’estomac noué. J’ai affronté les Vong. Je sais combien ils sont dangereux. Je ne suis pas sûr de survivre face à eux. Mais je ne veux pas que l’enfant de quelqu’un aille se faire tuer dans l’espace ! Surtout pas le vôtre, princesse. Vous avez déjà consenti plus que votre part de sacrifices pour la Nouvelle République.

– Gavin, nous savons tous les deux que les gens capables de régler les problèmes n’ont jamais l’occasion de se reposer ou de mener une vie normale. Les gens comme nous prennent des responsabilités afin que la vie des autres ne soit pas ruinée. Nous aimerions sans doute qu’il en aille autrement, mais ça n’arrivera pas de sitôt.

Elle lui rendit le databloc.

– Vous n’imaginez pas à quel point je vous suis reconnaissante d’avoir voulu protéger Jaina. Mais en lui permettant de voler dans votre escadron, nous protégerons des innocents. C’est une excellente pilote. Elle n’a pas son égal aux commandes d’une aile X, et c’est un Jedi ! La Force est peut-être moins efficace contre les Yuuzhan Vong, mais elle sauvera un de vos pilotes si elle le sent en danger.

– Deux des meilleurs pilotes de l’escadron étaient natifs de Corellia et d’Alderaan. Avoir quelqu’un dont le sang unit les deux mondes sera probablement une bonne chose. Voulez-vous le lui dire, ou dois-je le faire ?

– A vous de lui annoncer la nouvelle, colonel. L’apprendre de la bouche de sa mère lui gâcherait quelque peu le plaisir.

– Princesse, je vous donne ma parole que je prendrai soin d’elle.

– Rogue Onze, au rapport.

Jaina sursauta quand elle comprit que l’appel lui était destiné.

Je fais partie de l’Escadron Rogue !

Cette idée lui semblait encore irréelle. A mesure qu’elle grandissait, le passé de son oncle antérieur à sa vocation de Jedi avait été oublié. Luke était le fondateur officiel de l’Escadron Rogue, mais c’étaient Wedge Antilles et ses pilotes qui en avaient fait une légende.

Jaina savait qu’elle était bonne. Mais elle ne se croyait pas assez douée pour rejoindre l’Escadron Rogue, surtout à son âge.

Pourtant, les moments dramatiques demandent des mesures énergiques…

– Rogue Onze, au rapport. Si vous avez des problèmes de communication, levez la main.

Jaina activa son micro.

Ils ont quitté la planète sans problème. A nous de les amener sains et saufs hors du système !

– Rogue Leader, je détecte des mouvements sur mes scanners, dit la voix de Rogue Quatre. A 271 point 30.

Jaina fit pivoter son chasseur et frissonna.

– Au nom de tout ce qui rend un Hutt hideux…

Un vaisseau de guerre yuuzhan vong dérivait lentement. Entouré de minuscules coraux skippers, semblables à des insectes bourdonnant autour d’une carcasse, il avait la longueur d’un destroyer impérial. De forme ovoïde, il devait avoir une masse bien supérieure. Sa coque était composée en alternance d’une matière lisse et brillante d’aspect vitreux et de bandes de roche plus déchiquetées, constellées de trous où vivaient les basals dovin qui propulsaient le vaisseau.

Près de la proue, le long de la ligne médiane et à l’arrière, poussaient de grands bras de corail rouges et bleus. Des coraux skippers y étaient posés. Jaina supposa que les plus grandes cavités, sur les bras, abritaient des projecteurs de plasma. D’après leur taille, un seul coup pouvait aisément pulvériser un chasseur.

Les vaisseaux de tête du convoi commencèrent à quitter l’orbite. Utilisant le puits de gravité de Dubrillion pour accumuler de la vitesse, ils prirent le cap qui leur permettrait d’accomplir leur premier saut hyperspatial. Ils n’allaient pas directement sur Agamar, n’ayant aucune envie d’y conduire les Yuuzhan Vong.

Les coraux skippers se lancèrent aux trousses du convoi. Les contrôleurs de combat du Ralroost repérèrent les ennemis et donnèrent les ordres d’attaque aux escadrons de Dubrillion.

Jaina étudia les moniteurs avec attention, regardant les petites lumières qui symbolisaient des chasseurs se déplacer, se séparer ou… disparaître soudain.

Après ce qui lui sembla une éternité, la voix de Gavin couvrit le bruit de fond des fréquences com.

– Rogues, on nous a affecté la cible Rocher-Un. Ne ralentissez pas, et faites autant de dégâts que vous pouvez. Que chacun surveille les arrières des autres.

Le R5 de Jaina, un droïd marron et blanc, bipa doucement.

– Quel est le problème, Sparky ?

Le droïd afficha la cible sur le moniteur principal.

Par les os noirs de l’Empereur, on nous a affecté le vaisseau de guerre !

Ordonner à un groupe de chasseurs d’attaquer un grand vaisseau n’était pas illogique. Les plus gros navires de l’Empire avaient toujours été vulnérables aux attaques à bout portant. Les commandants de la Nouvelle République le savaient, qui employaient toujours la chasse très efficacement.

Jaina se demanda cependant si les Yuuzhan Vong savaient qu’ils devaient redouter les chasseurs.

– A vos ordres, Leader, dit-elle. Sparky, tiens-toi bien !

Elle poussa la manette des gaz.

– Votre ailier Douze est prêt, Brindilles.

– Merci, Douze. (Jaina examina la console d’artillerie.) Neuf, utiliserons-nous les torpilles à protons, ou seulement les lasers ?

– Vous voulez garder les torpilles pour le dessert, Brindilles ?

– Bien reçu, Neuf.

Jaina coupla ses lasers et posa un doigt sur la détente. Elle les utiliserait pour évaluer les défenses du vaisseau, puis lancerait quelques torpilles si elle trouvait une cible intéressante.

Le bâtiment de guerre yuuzhan vong grossissait à mesure que les ailes X s’en rapprochaient. Sa poupe se releva, faisant pointer vers l’avant ses épines médianes. Des lueurs dorées naquirent à leurs extrémités, puis des boules de plasma filèrent dans l’espace vers les vaisseaux du convoi.

Ces coups n’étaient pas assez précis pour atteindre les petits cargos. Mais en tirant dans le tas, les Yuuzhan Vong en atteindraient forcément certains.

Le premier cargo touché ressemblait beaucoup au Faucon Millenium. Le plasma l’atteignit à tribord, faisant éclater le cockpit et une partie de la coque. Le vaisseau partit en vrille. Tombant vers Destrillion, il était condamné à brûler dans l’atmosphère de ce monde inhospitalier.

Jaina sentit un froid mortel l’envahir. Des innocents qui fuyaient leur planète natale venaient d’être assassinés sous ses yeux, et d’autres mourraient encore si elle ne faisait rien. D’instinct, elle plongea vers le vaisseau ennemi, fit un tonneau vers le haut puis se redressa et fila le long de sa coque.

Elle garda la main sur le manche à balai, zigzaguant pour que l’ennemi ait du mal à la toucher. Les coraux skippers posés sur les épines tirèrent de petites boules de plasma, mais ses manœuvres lui permirent de leur échapper.

Elle remarqua que les basals dovin généraient des trous noirs pour absorber ses rayons laser. Mais ils déviaient aussi la trajectoire des boules de plasma.

Elle tira à travers les boules de plasma. Les basals dovin durent créer des trous noirs qui absorbèrent les boules de plasma. Cette technique fatiguait les basals dovin… et les forçait à protéger le chasseur de Jaina.

Elle remonta en flèche pour foncer sur une des épines. Supposant que le mécanisme de visée des boules de plasma s’y trouvait, elle lâcha une salve de rayons. Les basals dovin absorbèrent les coups, sauf un. Le rayon passa à côté de sa cible une seconde avant qu’une boule de plasma n’en sorte.

Logique… Les basals dovin protègent l’extrémité des épines, sauf quand elles éjectent une boule de plasma.

Jaina activa son unité com.

– Leader, les extrémités des épines sont vulnérables. Nous avons une chance de les atteindre juste avant qu’elles ne tirent. Je vais en détruire une.

– Soyez prudente, Brindilles.

– Comme nous tous, Leader.

Jaina se sentit étrangement calme quand elle fit remonter son aile X en spirale le long d’une des épines. Des boules de plasma filèrent à côté d’elle. Quelques-unes effleurèrent ses boucliers, mais elle augmenta simplement leur puissance. Dépassant la zone dangereuse, elle vira à bâbord et inversa la poussée. L’aile X se retourna, et, quand elle coupa les gaz, flotta sur place à cinq cents mètres de sa cible.

Le bout de l’épine était muni d’une valve triskele semblable aux valvules d’un cœur. Celle-ci s’ouvrait une ou deux secondes, le temps de cracher une boule de plasma, puis elle se refermait. Le système ne manquait pas d’élégance, mais paraissait terriblement primitif.

Jaina tira sur la valve.

– Sparky, préviens-moi quand les anomalies gravitationnelles commenceront à s’effondrer.

Le droïd bipa « compris ». Presque aussitôt, il lança un avertissement aigu.

Jaina passa sur les torpilles à protons et appuya sur la détente, en larguant deux sur l’extrémité de l’épine. Les missiles filèrent droit sur leur cible. Un instant avant qu’ils arrivent à destination, la valve s’ouvrit et cracha une boule de plasma.

Deux autres torpilles à protons partirent vers l’épine que Jaina avait canardée. La première toucha la coque, creusant un profond sillon et faisant voler dans l’espace des morceaux de corail yorik.

La deuxième percuta les restes de l’épine. Quand elle explosa, tout se désintégra.

– Joli coup, Douze.

– J’ai fait comme vous, Brindilles.

Jaina éclata de rire et redressa son appareil. Puis elle s’éloigna du vaisseau ennemi.

– Nous leur avons montré de quoi nous étions capables !

– C’est vrai.

– Pas de bavardage ! ordonna Gavin sur la fréquence de l’escadron.

– A vos ordres, Leader.

Jaina sourit de plus belle quand elle regarda le Ralroost approcher de l’endroit où il pourrait sauter dans l’hyperespace.

Puis son vaisseau vibra. Elle regarda autour d’elle, craignant qu’un basal dovin se soit verrouillé sur ses boucliers… Pas de chasseurs à proximité. Son moniteur secondaire lui signala une anomalie gravitationnelle, mais les relevés indiquaient une puissance dont les coraux skippers n’auraient pas été capables.

La seule fois que j’ai vu quelque chose de semblable, c’était en simulation, contre un croiseur Interdicteur.

Le vaisseau de guerre yuuzhan vong avait dérivé l’énergie des basals dovin pour créer un puits de gravité qui empêcherait le Ralroost et une demi-douzaine de vaisseaux d’entrer dans l’hyperespace.

Il faudra trouver un autre chemin pour sortir de là.

Au même instant, Sparky bipa : il avait reçu de nouvelles données de navigation. Jaina leur jeta un coup d’œil.

La voix de Gavin retentit dans le système com.

– Rogues, notre vecteur de fuite en direction d’Agamar est bloqué. Je vous ai fait transmettre notre nouvelle destination. Le Ralroost a récupéré les chasseurs. Filez ! Rendez-vous dans douze heures au point de sortie. Vous vous êtes bien battus.

Jaina double-cliqua pour accuser réception et consulta les données.